Jamais eu un tel cas de dissonance cognitive au ciné, Un numéro d'équilibriste qui se rate à mon sens, alors même qu'il y a un excellent film planqué dans ce cauchemar de séance. J'essaie d'en parler demain. Une certitude : Marina Foïs est un trésor national, une immense actrice.
J'aurais voulu préparer le thread mais j'y arrive pas & vais le faire à l'instinct, du coup pardon d'avance si c'est un peu décousu. Oh et je voulais tenter de limiter la casse pour qui veut le voir mais ça va être vraiment dur de ne pas spoiler des pans entiers d' #Enorme donc

"Énorme" c'est au départ l'histoire d'un couple, où l'épouse, Claire refuse de gérer les contingences de l'existence et laisse son mari, Fred, s'occuper de tout, à un point de passivité et d'effacement où quand on lui demande comment elle s'appelle, c'est lui qui dit "Claire"
Claire est une pianiste classique virtuose, qui enchaîne les tournées à l'international et Fred est son agent, ce qui est intéressant rien que dans le vocabulaire : elle lui cède son "agency", sa capacité à agir. La démonstration est faite ultra clairement dans le début du film
Jamais je n'aurais réussi à savoir si c'était purement son choix ou une incapacité à exister, à s'exprimer qui prédate son arrangement avec Fred (il faut dire que celui-ci dans son genre bouffe un espace dingue) mais le fait est que ça marche. Et que ce concept traverse le film
Sauf qu'après avoir assisté à un accouchement Fred décide que maintenant il VEUT un enfant. Claire toujours pas, et il refuse alors la solution pourtant évidente que lui balance sa mère : quitter Claire et avoir un enfant avec une prochaine partenaire qui elle en voudrait.
C'est con y'aurait un vrai sujet à traiter (et je sais de quoi je parle...) sur le fait de quitter quelqu'un qu'on aime parce qu'on diffère sur le désir d'enfants. A la place, vous connaissez la suite, Fred met Claire enceinte à son insu, et à partir de là, on a en fait 2 films :
L'histoire de Claire, somme toute assez abominable : enceinte sans le savoir et se croyant atteinte d'un cancer, puis le découvrant trop tard pour avorter (on y reviendra) et contrainte de vivre jusqu'au bout une grossesse non désirée pour accoucher d'un enfant non désiré.
Et celle de Fred : un mec qui a en quelque sorte réussi à tomber enceint (par GPA non consentante) fait une grossesse nerveuse évidente & gère "seul" (on se comprend) allant par exemple seul aux cours d'accouchement pendant que Claire fait incubateur non investie émotionnellement
La 2de est traitée comme une comédie, & je ne sais pas trop si on est censé rire de Fred, de la situation... mais le fait est que ce mec a :
- bidouillé les médocs de sa femme
- caché sa grossesse
- menti sur la dispo d'un médecin pour que passe le délai légal d'IVG
- bidouillé les médocs de sa femme
- caché sa grossesse
- menti sur la dispo d'un médecin pour que passe le délai légal d'IVG
Ce qui bonus atroce, fait que Claire doit aussi attendre 3 mois pour avoir des réponses alors qu'elle voit bien que son corps change et pense avoir un cancer. Donc l'empathie minimum à avoir pour Fred à ce stade là comment vous dire :
Mais le truc dingue du film c'est qu'à côté de ça, l'histoire de Claire n'est *pas* traitée comme une comédie. Ça tient en partie aux cadrages, à l'absence de musique, à une atmosphère assez étouffante, un style limite documentaire, mais surtout, surtout, aux choix de Marina Foïs
Don't get me wrong je ne découvre pas cette semaine que Marina Foïs est une excellente actrice, elle a toujours eu une palette très large et une capacité à jouer pile sur le fil entre rires et larmes, j'imagine d'ailleurs que c'est pour ça qu'elle a été castée ici, mais vraiment
elle réalise pour moi dans "Énorme" une performance incroyable, alors même que dans le cadre, à 50 cm d'elle, on fait faire le guignol à son partenaire d'écran, jamais Foïs ne jouera la situation de Claire comme une blague, comme sujet à drôlerie, à moquerie, à rire tout court
Au contraire, elle nous fait ressentir d'un bout à l'autre toute l'horreur de la situation, de cette femme prisonnière d'un corps qui change, d'une grossesse dont elle ne veut pas plus l'expérience que la finalité, de l'objectification... On vit avec elle un putain de cauchemar
Parenthèse perso : même en temps que nullipare désireuse de le rester & dont le "style de vie" protège de toute grossesse accidentelle, le film m'a été très dur à regarder et je pense qu'il peut l'être pour *n'importe quelle femme*, justement grâce (oui, "grâce") à Marina Foïs
J'ai plus souvent eu l'impression de regarder un docu glaçant ou un film d'horreur qu'une comédie, et en ça, je ne comprends pas l'adéquation des deux styles alors que Letourneur a visiblement conscience que Claire vit un calvaire. Comment expliquer...
Vous avez déjà vu The Magdalen Sisters? Un film remarquable et bouleversant sur ces couvents irlandais (bien réels) où on enfermait des filles & femmes parfois à vie, jusque dans les années 90, et pour rien, parce qu'elles étaient des femmes. Un film qui fait vivre ce calvaire
Et ben imaginez la même expérience, le même film, mais où on aurait incrusté un personnage masculin incarné par un comique, du reste responsable de leur situation, qui fait le guignol. On n'enlève rien du glauque mais on ajoute un élément hors sol "drôle". Dissonance cognitive
Je tiens à dire ici qu'il n'y a à mon sens rien de + à reprocher à Jonathan Cohen qu'à Foïs, à vrai dire je n'ai jamais trouvé son style disons "bien à lui" si bien dirigé, utilisé, j'ai haï le perso mais j'ai trouvé l'acteur excellent, ça n'a jamais été incompatible au cinéma.
Mais je ne comprends pas l'adéquation de ces 2 histoires dans le même film. Je ne comprends pas comment on est censé rire du ou avec le perso à droite de l'écran quand celui de gauche souffre de façon aussi explicite, ça n'a absolument pas fonctionné pour moi au point que
j'ai l'impression d'avoir vu 2 pellicules différentes scotchées de force ensemble. Pourtant il y a de l'intéressant dans les 2, & il y aurait eu à mon (humble) avis + d'un moyen de faire fonctionner la bestiole narrative, qui là a des allures de croisement génétique non viable
Par ex, est-ce qu'on ne pouvait pas raconter cette histoire d'une femme qui veut rester le plus détachée possible de sa grossesse et d'un mec qui voudrait la vivre en faisant tomber Claire enceinte accidentellement ? Etait-ce forcé d'avoir cette trahison abominable en surcouche?
Ou assumer l'aspect drame et ne pas tourner les séquences Fred comme fun ? Surtout que, c'est vraiment un des aspects du film avec lequel j'ai du mal à me réconcilier, il ne subira aucune conséquence de son geste passée celle qu'il voulait (avoir un bébé) pas mêmes psychologiques
Pas qu'un "méchant" doit être puni à la fin d'un film pour que celui ci soit moral (vraiment pas) mais qu'on nous montre quand même une Claire qui lui pardonne, et on peut trouver la fin ouverte quant à leur couple et qui s'occupera du bébé mais justement, pour le coup, en étant
si proche du perso de Foïs tout le film, j'aurais voulu qu'on sache ce qu'il en sera pour elle. Reste que l'expérience libère enfin l'expression d'elle totalement inexistante au début du film, ce qui est très intéressant sauf que c'est émaillé de résistances extérieures horribles
(Spoilers) Par exemple quand Claire découvre la manip de Fred, elle se tire (obviously) chez sa prof de piano, qui lui dit que bah il a fait ça par amour. Et ce n'est pas exactement contredit, alors que c'est un discours classique pour défendre les hommes violents ou abusifs.
Ils vont ensuite voir une médiatrice et Claire, enfin, parle, explique qu'elle n'en peut plus, que la grossesse l'a changée en objet (qu'elle était presque déjà avant, vraiment Letourneur veut faire un truc intéressant avec ça) que tout le monde la touche... & alors que justement
la médiatrice a une main sur son ventre et refuse de l'enlever, Claire finit par devoir lui *hurler* de la lâcher, et là encore elle refuse quelques secondes... puis enfin Claire se détend. Cette scène est très pénible et vraiment très étrange dans ce qu'elle véhicule
Autre contradiction : le film nous fait vivre l'accouchement sans amoindrir les risques, les complications, l'épreuve, mais fait presque un peu lâchement une ellipse de 6 mois sur la grossesse, synthétisant tout à la fin dans un ventre qui triple de volume en 15 secondes
Je vois bien le symbolisme mais ça reste éluder toute la difficulté physique imposée au personnage de Claire. J'ai lu que Letourneur voulait "désacraliser la maternité" mais alors pourquoi en faire ici l'objet d'un abus et d'une violation du corps ?
Pourquoi ne pas faire 2 films ? Une comédie sur un couple où c'est M. qui est à fond dans la grossesse et où Mme joue les incubateurs consentants (pourquoi pas ?) et un thriller/drame sur une femme mise enceinte de force par un manipulateur sans empathie. Pourquoi ce mélange ?
Le truc c'est qu'au final, j'aurais passé un mauvais moment devant "Énorme", mélange de malaise qu'on a voulu sciemment faire ressentir au spectateur et de malaise qui n'était pas l'intention et qui est bien pire. Et pourtant je n'imagine pas ici Sophie Letourneur sexiste
ou persuadée que si au fond, c'est rigolo, il la met enceinte sans lui dire, ahah, je pense que le résultat final tient plus d'un humour totalement "tone-deaf" que d'une volonté de minimiser des faits horribles, même si soyons honnête, 30s d'une avocate qui rappelle que c'est mal
ne compensent absolument pas le fait qu'à la fin Fred a ce qu'il veut & ne ressent même pas de remords, ou les réactions des protagonistes extérieurs au couple (j'ai d'ailleurs une question pour les Ob-Gyn & autres médecins qui passeraient par ici : quand Claire découvre qu'elle
est enceinte, le délai IVG est passé en France mais pas au UK sauf que la toubib lui dit que ce serait très dangereux... Est-ce que le risque d'une IVG à 3 mois et demie est vmt significativement supérieur à celui d'un accouchement à terme ? Intuitivement ça m'a paru bizarre mais
je ne suis médecin). Bref il serait faux de dire que le traitement "sain" de la partie "Claire" annulerait le décalage ultra gênant du film. Mais je pense qu'il serait aussi simpliste de voir dans "Énorme" une glorification de la GPA forcée ou de toute violence faite aux femmes
L'humour est une chose extrêmement complexe, subtile et personnelle, et je pense que ce film totalement unique en son genre ne fera pas de mal dans l'absolu ne serait-ce que parce que : on est capable d'en débattre, de le critiquer. Que d'autres y verront sincèrement des qualités
Du reste tout en étant intimement persuadée de l'influence de l'art sur nos représentations mentales, je pense que c'est un effet macro & pas à l'échelle d'une oeuvre. Je n'ai pas aimé Joker mais je ne crois pas qu'il poussera des mecs se sentant victimisés à tirer dans la foule
Du coup, qu'on critique "Énorme", bien sûr. Open bar. Moi-même n'ai dc pas du tout aimé. Mais -c'est paradoxal de le dire ici car pour le coup je n'ai pas vu ma propre TL trasher Marina Foïs
- la réaction à chaud avant d'avoir vu le film me parait toujours dangereuse et surtout

Très mal dirigée... Foïs est devenue la cible juste parce que c'était elle qui était sur le plateau de Quotidien. Et alors qu'elle ne répond pas, on donne une interprétation somme toute absurde à la tête qu'elle tire (légitimement quelque part)
"Elle découvre que c'est illégal"
Pardon mais même si le film ne le rappelait pas, préjuger qu'une adulte (elle les fait pas mais elle a 50 ans hein) concernée & un minimum intéressée au sujet ignore qu'en France il est illégal d'engrosser une femme à son insu, c'est absurde
Pardon mais même si le film ne le rappelait pas, préjuger qu'une adulte (elle les fait pas mais elle a 50 ans hein) concernée & un minimum intéressée au sujet ignore qu'en France il est illégal d'engrosser une femme à son insu, c'est absurde
Je préjuge totalement aussi mais *après* avoir vu le film : pour moi Foïs est ici surprise car du tournage comme elle l'a vécu, du film comme elle s'y est investie, elle n'a pas une image d'oeuvre qui dirait "rigolo" ce que subit Claire. Elle ne l'a pas joué comme ça une seconde
In fine je préfère 1000 fois que ce film existe, avec ses défauts et ses tentatives fascinantes de cinéma, plutôt que d'imaginer qu'il aurait pu ne pas sortir sur la base de son pitch (très dérangeant) ou même sa forme finale (même quand elle m'a fait retenir des hurlements).
"Énorme" prouve aussi qu'un film n'est pas que le regard d'un réalisateur, et si la cérémonie 2020 n'avait pas achevé de dégueulasser la dorure des Césars justement pour les droits des femmes, j'en filerais une pluie à Marina Foïs pour ce qu'elle fait dans ce film. Quelle actrice
C'est aussi un regard de spectateur et j'espère que vous ne m'en voudrez pas de conclure ce long thread post-visionnage (suivant déjà un long thread "ne jugeons pas sans voir" :$) par en fait, si vous vous sentez de subir l'expérience, "allez voir pour vous faire une idée"
(Et son corollaire : ne vous sentez absolument pas obligé d'aller voir si le sujet vous met trop mal à l'aise.)
Confession finale : je reste très curieuse de voir ce que Sophie Letourneur fera ensuite (et encore une foïs, vive Marina et son génie de la comédie)
Confession finale : je reste très curieuse de voir ce que Sophie Letourneur fera ensuite (et encore une foïs, vive Marina et son génie de la comédie)